Loi accessibilité numérique : version finale adoptée le 30 juillet

Figure emblématique de la justice.

Nous suivons l’évolution de la loi accessibilité numérique depuis les premiers débats, en voici donc la conclusion.

Le Sénat a rejeté en bloc le projet de loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel le 30 juillet dernier. Cela fait suite à l’échec de la Commission mixte paritaire le 16 juillet. Suite auquel le Sénat mettait en cause «l’attitude de l’exécutif»  et dénonçait «les limites de la méthode retenue par le Gouvernement».

L’Assemblée nationale a adopté le texte de l’article 44 sans modification par rapport à la dernière version. En d’autres termes, avec le maintien d’une amende plafonnée à 25 000 euros et la suppression de la date limite pour publication d’un décret d’application pour la création du fonds devant recevoir ces amendes.

Que retenir de ces modifications à l’article 47 de la loi handicap du 11 février 2005 ?

Un champ d’application étendu

Grâce à la directive européenne transposée par cette loi en droit français, les organismes concernés par l’obligation d’accessibilité numérique sont plus nombreux :

  • dans le secteur public, outre les médias audiovisuels dorénavant traités à part. Tout le monde est concerné depuis déjà la version originale de la loi de 2005 ;
  • le secteur privé doté d’une délégation de service public est désormais également concerné. Une délégation de service public est une façon pour un organisme public d’externaliser auprès du privé la gestion d’un service dont il a en principe la charge. Ça concerne par exemple la gestion de l’eau ou des déchets pour une collectivité. Ça concerne aussi certaines fédérations sportives ;
  • les personnes morales de droit privé à but non lucratif (notamment les associations de loi 1901) ayant une mission d’intérêt général et proposant des services essentiels au public ou des services pour les personnes handicapées
  • les grandes entreprises dépassant un seuil de chiffres d’affaires fixé par décret.

Les obligations de la loi accessibilité numérique

Les obligations issues de la loi accessibilité numérique nouvelle version n’ont pas vraiment changé par rapport à la version précédente.

Permettre l’accès

Tous les types d’information sous forme numérique sont concernés. Et tous les supports également, notamment :

  • sites internet,
  • intranet,
  • extranet,
  • applications mobiles,
  • progiciels,
  • mobilier urbain numérique.

C’est là qu’intervient le besoin de règles pour vérifier que l’accès est possible. Il y a bien sûr le référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA). Ce dernier est une version alternative des règles internationales WCAG et qui concerne le support web. Il y aura forcément d’autres corpus de règles à l’avenir pour décliner les règles selon les supports. Les règles européennes d’accessibilité numérique (voir en anglais), et non plus celles du W3C, sont désormais la référence en droit français, ce que l’on peut regretter.

Notons que le défaut d’accessibilité n’est pas sanctionné. Seul le défaut de publicité de ce manque d’accessibilité peut faire l’objet d’une sanction financière.

Notons également que l’accès doit être permis dans la limite de ce qui est raisonnable. Il ne doit pas impliquer de charge disproportionnée ou indue pour l’organisme. La bonne nouvelle, c’est qu’un décret en Conseil d’État devra préciser ce que signifie «charge disproportionnée» pour éviter les dérives.

Informer / Rendre public

Voici les 3 documents exigés :

  1. une déclaration de conformité au RGAA décrivant le niveau de conformité et justifiant les non-conformités
  2. un schéma pluriannuel d’accessibilité sur 3 ans pour indiquer la politique qui se mènera sur le sujet
  3. le plan d’action annuel en cours découlant du schéma pluriannuel.

Il est également précisé qu’une mention clairement visible précisant le niveau de conformité aux règles d’accessibilité devra être présente sur chaque support.

C’est bien l’absence de ces documents qui donnera lieu à une amende.

Écouter/Dialoguer

Ça peut sans doute paraître dérisoire, c’est une mention  toute simple. Pourtant, c’est là que réside à nos yeux l’aspect le plus important. La loi demande aux organismes concernés par l’obligation d’accessibilité numérique de permettre facilement aux usagers de signaler les manquements aux règles d’accessibilité.

Ce n’est pas nouveau. Cependant, cette obligation combinée à la précédente d’information et de publication des efforts en matière d’accessibilité peut avoir un effet très positif. Il s’agit en effet d’apprendre aux organisations à dialoguer avec leurs utilisatrices et utilisateurs handicapés pour leur apporter une solution. Ceci dit, il n’est pas rare que des utilisateurs tentent de remonter des problèmes d’accessibilité sans jamais recevoir de réponse. Il va donc falloir du temps avant que le dialogue ne se fasse. Espérons que ce sera le début d’un réel changement de culture… Koena compte bien apporter sa contribution en ce sens 😉

Que risque-t-on si l’on n’est pas en conformité avec la loi accessibilité numérique ?

Ah… La grande question qui revient si souvent : mais si on ne le fait pas, que risque-t-on ?

Le premier risque, c’est d’empêcher des utilisateurs d’utiliser vos services, et donc par ricochet de perdre en audience.

Le deuxième risque, c’est que si vous ne corrigez que les bugs affectant l’accès pour les valides et pas ceux affectant l’accès pour les personnes handicapées. Vous faites alors de la discrimination, ce qui est passible d’une sanction pénale.

Enfin, une amende jusqu’à 25 000 euros sera désormais susceptible de vous être adressée par l’État si vous ne vous acquittez pas de vos obligations. Cette sanction est reconduite chaque année tant que le manquement ne se corrige pas. À noter la précision du détail (l’amende est-elle prévue par service en ligne ? Par organisation ? À préciser…).

Nul doute que la sanction financière aura un effet « pédagogique » plus efficace que le simple appel au bon sens. Quant à la priorité que doivent donner les organisations à la prise en compte de l’accessibilité numérique.

À condition que cette sanction entre en vigueur en même temps que l’obligation…

Quels sont les délais pour se mettre en conformité avec la loi ?

Si vous faites partie du secteur public, vous êtes déjà dans l’obligation d’être accessibles depuis 2012. Vous devriez donc déjà avoir une déclaration de conformité au RGAA et un référent accessibilité numérique en interne. La publication d’un schéma pluriannuel et d’un plan d’action annuel ne devrait donc être qu’une formalité, n’est-ce pas ?

Bien évidemment, nous savons que ce n’est pas le cas pour la majorité des acteurs du secteur public… Il y aura sans doute un délai accordé dans le futur décret d’application, valant également pour les nouveaux organismes concernés par ces obligations, notamment issus du secteur privé.

Tout va dépendre du futur décret d’application, voire « des » futurs décrets d’application.

Une échéance au 23 septembre 2018

L’article 44 du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel se nomme explicitement : «Transposition de la directive relative à l’accessibilité des sites internet».

Or, la Directive européenne UE 2016/2102 indique dans son article 9 intitulé «Procédure permettant d’assurer le respect des dispositions», alinéa 2 : Au plus tard le 23 septembre 2018, les États membres informent la Commission de l’organisme qui sera chargé de faire assurer le respect de la présente directive.

L’article 12 «Transposition» indique par ailleurs à l’alinéa 1 : Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 23 septembre 2018. Ils en informent immédiatement la Commission.

Notons toutefois que seules les dispositions issues de la transposition de cette Directive européenne se soumettent à l’échéance du 23 septembre 2018. Or, la Directive ne vise que le secteur public, et n’impose pas de sanction financière.

La création d’un fonds national d’accessibilité universelle reporté sine die

Depuis octobre 2016 et le vote de la loi pour une République numérique, il y a près de 2 ans donc, devait être créé un fonds permettant de recueillir l’argent des amendes versées pour cause de manquement aux règles d’accessibilité, et pouvant ainsi être spécifiquement réinvesti dans la mise aux normes.

Un réel dispositif dédié, ne pouvant pas être détourné pour une autre priorité, devait ainsi être mis en place.

Or, non seulement ce fonds n’a jamais été abordé en loi de finances du 29 décembre 2016 pour 2017, mais pas davantage lors du vote de la loi de finances du 31 décembre 2017 pour 2018.

Et si l’on en croit les difficultés énoncées par les députés lors du retrait du délai de publication du décret en commission mixte paritaire, ce ne sera pas davantage évoqué lors de la loi de finances de décembre 2018 pour l’année 2019…

Nous l’avons vu depuis 2009 et le décret d’application de l’article 47 de la loi handicap portant sur l’accessibilité numérique : une obligation sans sanction est peu suivie d’effet (voire pas du tout).

Espérons que l’amende sera malgré tout mise en œuvre, malgré l’absence de création du fonds, comme le laissait entendre l’amendement pour retirer l’échéance de publication du décret et qui disait : l’absence de ce fonds n’empêche pas de prononcer des sanctions, qui sont alors versées au budget général de l’État.

Prochaine étape ?

Prochaine étape, la loi doit être promulguée. Selon l’article 10 de la Constitution française, le Président de la République doit indiquer par cet acte, dans les 15 jours qui suivent l’adoption par le Parlement, que la loi a été validée dans les règles et doit être exécutée.

Une fois la loi promulguée, elle sera publiée. Tout manquement à la loi pourra alors faire l’objet de plaintes devant les tribunaux compétents, en théorie.

Il sera en l’occurrence nécessaire de préciser comment la loi s’appliquera. Ceci fera l’objet d’un décret d’application, et peut-être même par plusieurs.

Il faudra notamment préciser :

  1. comment évaluer des « charges disproportionnées » ?
  2. selon quel barème se fixe l’amende dont le plafond est de 25 000 euros ?
  3. quel est le seuil de chiffres d’affaires au-delà duquel les entreprises sont concernées par la loi ? Comment ce chiffre d’affaires se calcule (notamment dans le cas de groupes internationaux) ?
  4. quels sont les délais de mise en œuvre ?

Les points 1 et 4 seront forcément tranchés avant le 23 septembre 2018 si l’État veut satisfaire à ses obligations vis-à-vis de la Commission européenne. Pour le reste, nous ne pouvons qu’espérer que nous en saurons plus très vite…


Texte : Armony Altinier
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