Loi accessibilité numérique (2/2) : prise en compte des obligations européennes

Drapeaux européens

Nous avons vu dans un billet précédent quelles étaient les obligations légales concernant l’accessibilité numérique en vigueur au 25 juin 2018. Le gouvernement n’a pas encore publié le décret d’application suite aux nouvelles mesures prévues par la loi pour une République numérique. Pourtant, l’article 47 de la loi handicap de 2005 sera une nouvelle fois modifié en juillet 2018 pour une entrée en vigueur avant le 23 septembre 2018, échéance imposée par Bruxelles.

Faisons le point sur les débats en cours et les évolutions à venir…

Transposition en droit français des obligations européennes : l’article 44 du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel

Quel rapport y a-t-il entre l’accessibilité numérique et un projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ?

Aucun, si ce n’est que le gouvernement a choisi ce véhicule législatif pour se mettre en conformité avec ses obligations vis-à-vis de Bruxelles.

En effet, la France a jusqu’au 23 septembre 2018 pour transposer en droit national les obligations issues de la Directive européenne 2016/2102. Cette dernière est relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public. Si la France ne respecte pas ce délai, l’Europe pourra sanctionner financièrement la France.

Le gouvernement profite de ce que le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel soit étudié cet été. Pour gagner du temps, le gouvernement a engagé une procédure accélérée. La procédure accélérée signifie qu’il n’y aura qu’un seul vote par chambre :

  • un vote à l’Assemblée nationale,
  • un vote au Sénat.

L’objectif de l’article 44 ? Mettre la loi en phase avec les obligations issues de la Directive européenne.

Le 15 juin 2018 a donc eu lieu le vote à l’Assemblée nationale sur cet article 44. Vous pouvez retrouver la teneur des débats sur le site NosDéputes.fr.

Tout projet de transposition se fait a minima, dans un souci de simplification des normes. Le texte à l’origine de ceci ? La Circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact.

Le vote au Sénat se prévoit en séance publique les mardi 10 et mercredi 11 juillet. L’objectif ? Une adoption finale du texte.

Quelles obligations légales en matière d’accessibilité numérique en septembre 2018 ?

Tant que le Sénat n’adopte pas le texte définitif, nous ne pouvons faire que des suppositions. Il est toutefois intéressant de noter les débats qui eurent lieu pendant le vote à l’Assemblée nationale.

Réajustement du champ d’application

Globalement, la Directive européenne a encore élargi le champ d’application. Si l’article 106 de la loi pour une République numérique élargissait déjà l’obligation légale d’accessibilité au secteur privé doté d’une délégation de service public (DSP), la définition européenne est un peu plus large, et touche les organisations rendant un service au public (qu’elles aient ou non une DSP) et celles dédiées aux personnes handicapées. Les amendements identiques 1508 et 1981 visaient à cadrer cet élargissement. Les députés ont adopté ces amendements. Le but est d’exclure du champ les organisations à but non lucratif. Notamment, celles qui ne rendent pas directement un service au public et ne se spécialisent dans le secteur du handicap.

En revanche, des exceptions concernant les contenus visés par l’obligation l’égale se prévoient en Europe. C’est notamment le cas pour les diffuseurs de contenus audiovisuels, exception reprise en droit français. Les personnes sourdes et malentendantes se sentent prioritairement lésées par cette exception. À venir, un texte dédié doit aborder une obligation spécifique.

Voici le texte tel qu’adopté sur ces points :

I. – Sont accessibles aux personnes handicapées dans les conditions définies au présent article les services de communication au public en ligne des organismes suivants :

  1. 1° Les personnes morales de droit public ;
  2. 2° Les personnes morales de droit privé délégataires d’une mission de service public, ainsi que celles créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial et dont :
    1. a) Soit l’activité est financée majoritairement par une ou plusieurs personnes mentionnées aux 1° et 3° du présent I et au présent 2° ;
    2. b) Soit la gestion est soumise à leur contrôle ;
    3. c) Soit plus de la moitié des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance sont désignés par elles ;
  3. Les personnes morales de droit privé constituées par une ou plusieurs des personnes mentionnées aux 1° et 2° pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;
  4. 4° Les entreprises dont le chiffre d’affaires excède un seuil défini par le décret en Conseil d’État mentionné au V.

Par exception au premier alinéa du présent I, l’accès aux services de communication au public en ligne des fournisseurs de services de médias audiovisuels est régi par la législation qui leur est applicable. Le présent article ne s’applique pas non plus aux services de communication au public en ligne des organismes de droit privé à but non lucratif qui ne fournissent ni des services essentiels pour le public, ni des services répondant spécifiquement aux besoins des personnes handicapées ou destinés à celles-ci. ;

Disparition de la référence aux règles internationales

Bien que la Directive ait elle-même fait référence aux règles internationales WCAG 2 de niveau double A, la France a choisi de retirer la référence aux règles internationales, malgré plusieurs amendements visant à réintroduire cette mention. L’argument avancé pour retirer la référence aux règles internationales est que désormais des normes européennes priment sur ces règles. Il existe en effet le mandat 376 qui a visé à élaborer le standard européen EN 301 549 intitulé « Accessibility requirements suitable for public procurement of ICT products and services in Europe ».

Le standard européen découle des règles internationales. Nous regrettons donc que la loi ait retiré toute mention à ces dernières. Le risque étant que les règles européennes deviennent obsolètes. Elles seront forcément mises à jour plus tardivement que les règles internationales sur lesquelles elles sont basées.

Précision de la notion de « charge disproportionnée »

La Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies définit dans son article 2 la notion d’aménagement raisonnable comme suit :

On entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales;

Les textes européens extraient donc la notion de « charge disproportionnée » que l’on retrouve dans le définition de l’aménagement raisonnable. L’article 44 du projet de loi visant à la transposition de la Directive reprend cette notion.

Or, la Convention relative aux Droits des personnes handicapées adopte le point de vue des personnes discriminées. Le refus d’aménagement raisonnable est en effet l’un des motifs de discrimination sur le handicap.

Dans le texte adopté, on ne retrouve plus que le point de vue des concepteurs de services numériques. Ce texte de l’Assemblée National ne reprend que la seule notion de charge disproportionnée, pas cette d’obligation d’aménagement raisonnable. C’est comme s’il convenait de rassurer : vous n’aurez pas trop à en faire, pas d’inquiétude !

D’où des amendements visant à cadrer la définition de la charge disproportionnée. L’exposé de l’amendement 381 porté par le député Paul Christophe indiquait justement : Le projet de loi prévoit que cette accessibilité doit être mise en œuvre à condition de ne pas créer une charge disproportionnée. Afin que cette notion, source d’exonération importante, puisse être bien appliquée, il convient de la définir davantage en s’appuyant sur le considérant 39 et l’article 5 de la directive..

C’est finalement l’amendement du député Adrien Taquet qui est adopté et qui prévoit qu’un décret en Conseil d’État soit pris pour donner une définition de la charge disproportionnée, et que le Conseil national consultatif des personnes handicapées soit consulté pour avis.

Voici le texte tel qu’adopté :

II. – L’accessibilité des services de communication au public en ligne concerne l’accès à tout type d’information sous forme numérique, quels que soient le moyen d’accès, les contenus et le mode de consultation, en particulier les sites internet, intranet, extranet, les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique. Elle est mise en œuvre dans la mesure où elle ne crée pas une charge disproportionnée pour l’organisme concerné. La charge disproportionnée est définie par décret en Conseil d’État, après avis du conseil mentionné à l’article L. 146-1 du code de l’action sociale et des familles.

On notera au passage que la liste des contenus concernés est plus précise. Elle avait été précisée déjà par l’article 106 de la loi pour une République numérique. On voit désormais apparaître « les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique ».

Pas d’obligation d’accessibilité native pour les nouveaux services en ligne

Nous noterons le rejet d’amendements visant à demander que tout nouveau service en ligne soit nativement accessible. Bien que ce soit implicite, nous pouvons regretter que la loi ne reprenne pas cette affirmation.

Rien de neuf concernant le schéma pluriannuel

Un décret définira la forme de la déclaration de conformité, du schéma pluriannuel et du plan d’action annuel.

Cette forme s’harmonise au niveau européen. Des actes d’exécution de la Directive doivent se préciser sur :

Rien de notable concernant ces documents à ce stade, comme nous le constatons à la lecture du texte adopté :

III. – Les organismes mentionnés aux 1° à 4° du I publient une déclaration d’accessibilité et élaborent un schéma pluriannuel de mise en accessibilité de leurs services de communication au public en ligne, qui est rendu public et décliné en plans d’actions annuels, et dont la durée ne peut être supérieure à trois ans.

IV. La page d’accueil de tout service de communication au public en ligne comporte une mention clairement visible précisant s’il est ou non conforme aux règles relatives à l’accessibilité.

Tous ces services de communication au public en ligne donnent aisément et directement accès à la déclaration d’accessibilité, au schéma pluriannuel de mise en accessibilité et au plan d’actions de l’année en cours et permettent facilement aux usagers de signaler les manquements aux règles d’accessibilité de ce service.

Les amendements identiques 1513 et 2012 ont remplacé l’obligation de publication en page d’accueil des résultats de la mise en accessibilité. On favorise donc une formule plus générique, applicable également dans des contextes autres que web.

De nombreux « détails » laissés au pouvoir réglementaire

De nombreuses questions restent en suspens à la lecture du texte de loi adopté par l’Assemblée nationale. Ce texte confie le soin au pouvoir réglementaire d’apporter des réponses, comme nous pouvons le lire ci-dessous :

V. Un décret en Conseil d’État, pris après avis du conseil mentionné à l’article L. 146-1 du code de l’action sociale et des familles, fixe les règles relatives à l’accessibilité, y compris celles portant sur la déclaration d’accessibilité, les contenus exemptés parmi ceux mentionnés au 4 de l’article 1er de la directive (UE) 2016/2102 du Parlement Européen et du Conseil du 26 octobre 2016 relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public, les modalités de mise en œuvre, qui peuvent différer selon le type de service de communication au public en ligne, les délais de mise en conformité des services de communication au public en ligne, qui ne peuvent excéder trois ans, ainsi que les conditions dans lesquelles des contrôles sont effectués et des sanctions sont imposées et recouvrées en cas de non-respect des obligations prévues au premier alinéa du IV du présent article.

Il s’agit pourtant de questions cruciales pour connaître le contour réel de l’obligation d’accessibilité numérique :

  • quelles entreprises seront touchées par l’obligation légale ?
    • selon nos dernières informations (source officieuse), le seuil de chiffre d’affaires serait de 500 millions d’euros. À confirmer…
  • quels seront les contenus pouvant faire l’objet d’une exemption ?
    2 orientations contradictoires sont possibles :
    • la Directive peut aller plus loin que le minimum exigé par l’Europe,
    • la Circulaire du 26 juillet 2017 demande de ne pas aller plus loin que le minimum exigé.
  • des modalités de mise en œuvre différentes semblent être envisagées selon le type de contenu, quelles seront ces modalités ?
  • comment seront effectués les contrôles ?
  • le principe d’une sanction financière semble préservé puisqu’il est question de « recouvrement »,  quelles seront ces sanctions ?
    • Rappelons que dans l’article 47 d’origine il était également question de sanction qui ne furent jamais appliquées…

Bref, de nombreuses questions demeurent, mais des réponses sont attendues d’ici le 23 septembre 2018. Nous regrettons que le gouvernement ait privilégié la voie réglementaire. Des questions importantes vont donc être tranchées sans débat public. Espérons que les réponses apportées iront dans le sens d’une plus grande inclusion. Autrement dit, dans le sens d’une lutte réelle contre la situation d’exclusion actuelle…


Texte : Armony Altinier
Illustration :

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